Adéquation sagesse et réalité

Le concept bouddhique de " Kyochi Myogo " se traduit par " adéquation sujet/objet " ou " adéquation sagesse subjective et réalité objective ". A défaut d'une plus grande précision, nous utilisons le terme < d'adéquation >, dont l'étymologie latine est < rendu égal >, pour traduire < myogo >.

L'origine de ce concept réside dans le Sûtra du Lotus où Shakyamuni enseigne: " Le bouddha révèle le savoir et la vue du bouddha afin de faire accéder les êtres à la pureté. Voila pourquoi il apparait dans le monde ". (80) La " pureté " , ici, désigne l'acausalité ou la parfaite liberté inconditionnée. Or, si le fait " d'accéder " relève uniquement de l'entrée dans la voie bouddhique, il nous semble cependant judicieux d'envisager cette " pureté " comme un acte possible à tout instant, et non comme un état de fait passif et circonstanciel. Tout devient alors non seulement plus réaliste mais aussi plus accessible. En effet, selon la vérité de la vacuité, à chaque instant l'éveil peut se manifester en l'être et son apparition n'est liée qu'à l'acte momentané. Ou, plus généralement si l'on préfére, l'acte, quel qu'il soit, est toujours apparition. Cependant, l'acte possèdant toujours un arrière plan causal, " la pureté " désigne dans ce cas le partage total des formes, c'est-à-dire du lieu.

Dans son commentaire, Zhiyi précise: "..ce qui est vu, c'est la vérité, ce qui est su, c'est l'objet. Objet et vérité sont principiellement de l'aspect réel". (81) Autrement dit, tout objet étant aspect réel, il va de soi que la vérité relève et découle de son partage. Dès lors, l'aspect réel des phénomènes est l'objet ( kyo ) de la connaissance, et la vérité, quant à l'objet, est la sagesse ( chi ) de tous les aspects caractérisant le bouddha. Il convient donc de considérer que lorsque le vrai, c'est-à- dire l'aspect réel des dharma, est partagé, il devient simultanément valeur dans l'exercice de la sagesse.

Ceci, du reste, nous éloigne de certains systèmes de valeurs dans lesquels le vrai est relégué à une place inférieure et interdit, en conséquence, l'accès potentiel à un éveil, même partiel. D'autre part, la sagesse en tant qu'agent illuminant ayant pour objet l'aspect réel des dharma, celle-ci s'adapte sans effort au circonstanciel lorsqu'il s'agit de convertir les êtres. Tel est du moins ce qui ressort de l'enseignement parfait. Par contre, les textes provisoires inférieurs au Sûtra du Lotus, développant une approche d'une moins grande envergure, ne peuvent aboutir ni à la réalité phénoménale ni à la sagesse du bouddha. En voici un exemple: " La sagesse, qui a pour caractère le savoir dès qu'elle pénètre le caractère vrai des dharma n'a plus de discernement et perd son caractère de savoir ". (82) Là, contrairement à ce qu'indiquait Zhiyi à propos du " coeur " de la < Une pensée > faisant obstacle, il s'agit plutôt des phénomènes eux-mêmes qui, faisant obstacle, réduisent à néant le peu de sagesse en exercice . Qu'en sera-t-il donc de l'accès au " coeur " les produisant ?

Pour en revenir à la sagesse illuminant l'aspect réel des phénomènes, elle se traduit, selon l'école Tiantai, par l'énoncé des dix Ainsi du chapitre Hoben, dans la partie provisoire du Sûtra du Lotus. Les dix Ainsi, nous en avons traité, explicitent le fait suivant: toute forme est rétribution des actes, exprime un état tout en contenant le potentiel des dix autres et montre, en outre, la simultanéité de la cause et de l'effet de la forme/pensée/environnement dans une constante relation sujet/objet. Or, selon la doctrine développée par le Sûtra du Lotus, seule l'efficience momentanée des multiples phénomènes est le réel, et, là seulement, se situe la voie de l'accès à l'éveil. Qu'en est-il, en général, de la relation aux objets ?

Prosaïquement, la sagesse consiste en la reconnaissance des formes, et en l'adaptation du corps et de l'esprit aux objets façonnant le lieu. Par exemple, on peut s'étonner du fait qu'une certaine utilisation des êtres et objets est patente, lorsque l'on observe les interactions de milliards d'êtres animés et non animés, et la qualifier à juste titre de sagesse adaptative. Cependant, à l'observation, cette sagesse fonctionnelle s'effectue toujours dans la négation de l'autre en tant que tel, pour n'envisager que le bénéfice qu'elle pourrait en obtenir. Si, en général, nous pouvons considérer que les objets perçus, réels ou non, façonnent et délimitent le lieu où notre connaissance s'exerce, cette sagesse personnelle, comme celle des formes moins évoluées que l'humain, s'appuie ordinairement sur l'incompréhension ou la négation de l'essence de l'observé. Or, il nous apparaît que l'évacuation de la nature réelle intrinsèque aux phénomènes ne peut guère s'assimiler à un quelconque bonheur durable, et nous considérons que seule l'adéquation totale entre le sujet et l'objet en terme de partage de forme est totale liberté. En cela, l'état de bouddha se distingue nécessairement des neuf autres états en se caractérisant par une sagesse et une bienveillance profondes adaptées à l'aspect réel des êtres.

Dans la " lettre à Soya Dono " le grand sage Nichiren indique en effet: " Le chapitre Hoben, dans le premier volume du Sûtra du Lotus, dit:< La sagesse de tous les bouddha est infiniment profonde et incommensurable >. Tiantai commente:< Infiniment profonde indique la réalité atteinte par le bouddha, qui est aussi vaste que le lit large et insondable d'une rivière. Parce que le fond de la rivière est infiniment profond, les eaux de la sagesse du bouddha sont incommensurables >. Le Sûtra et son interprétation disent clairement que le chemin de l'illumination est contenu dans les deux éléments de la réalité(kyo) et de la sagesse(chi). La réalité désigne l'entité de tous les phénomènes et la sagesse représente la manifestation parfaite de cette entité dans la vie de l'individu...L'illumination est la fusion de la sagesse et de la réalité. Tous les sûtra exposés avant le Sûtra du Lotus sont des enseignements provisoires qui ne peuvent conduire à l'illumination parce qu'ils séparent sagesse et réalité ".

Dès lors, manifestes sont les points suivants:

-" Le fond de la rivière est infiniment profond " indique les phénomènes dans leur mutabilité et leur vacuité. Les formes, les corps sont donc à l'ordinaire insondables ou " infiniment profonds ".

-" Les eaux de la sagesse du Bouddha sont incommensurables" exprime la parfaite adéquation avec le réel, c'est à dire l'infinité du monde phénoménal. L'absolue réalité des formes ne peut donc être évacuée, en vain, que du fait d'une sagesse médiocre. Il en découle concrètement que " le chemin de l'illumination est contenu dans les deux éléments de la réalité et de la sagesse ". En outre, il va de soi que si " L'illumination est la fusion de la sagesse et de la réalité ", l'obscurité des neuf premiers états se caractérise par une " sagesse relative ", strictement adaptative, évacuant de fait la réalité objectale. Cette obscurité, ou aveuglement, a probablement pour racine l'aperception de l'éblouissante merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet.

De fait, qu'en est-il, en bouddhisme, de l'adéquation sagesse/réalité ? Les cinquante-deux stades de perception graduant l'évolution du bodhisattva dans la voie de l'éveil ressortent de la doctrine du Tiantai ainsi que de celle d'autres écoles. Or, ces cinquante-deux stades placent la perception de la médianité des phénomènes en deça de l'éveil suprême de la boddhéité et, vis à vis de cet éveil, situent cette perception comme relevant globalement de " l'obscurité fondamentale ". Ce qui nous permet incidemment de relativiser d'autant mieux la valeur de la vérité de la vacuité.

En effet, tant la connaissance générale et théoriquement médiane, que celle particulière, et immédiatement sensitive, d'un objet ne peuvent, de par les images et projections dont elles ne sauraient se dissocier, être qualifiées de sagesse en adéquation avec l'aspect réel. Pour cette raison, sur le principe, la voie de bodhisattva est essentiellement constituée par l'application d'une sagesse dégagée des imaginations et projections ordinairement humaines. Il s'agit de la réalisation, en son propre corps, de la sagesse de l'être existant " par lui-même " et donc acausal: le bouddha. Or, la caractéristique de cette sagesse issue de l'éveil est qu'elle dépasse le cadre étroit de la pensée usuelle pour s'appliquer au changement du corps lui-même ou, différemment exprimé, à la participation du corps puisque celui-ci marque, de fait, les limites du percept.

Effectivement, le Sûtra du Lotus que Shakyamuni définit d'une manière euphémique comme " difficile à croire, difficile à comprendre " indique : " Le bodhisattva qui possède cette exposition de la Loi, qui la récite, qui l'enseigne...verra sur son corps ainsi purifié tous les êtres des trois mille mondes. Il les verra sur son propre corps parce qu'il aura reçu l'image de la forme de chacun d'eux...Il voit le monde sur son propre corps, comme on voit l'image réfléchie sur la surface d'un miroir; existant par lui-même, il ne voit pas d'autre êtres hors de lui, car telle est la parfaite pureté de son corps ". (83) Telle est, selon Shakyamuni, la qualité de vie du bodhisattva postulant à l'éveil et concrétisant la voie médiane par son action.

Or, nous venons de le citer dans la "lettre à Soya Dono": "La réalité désigne l'entité de tous les phénomènes et la sagesse représente la manifestation parfaite de cette entité dans la vie de l'individu". Dans l'éveil, l'entité de tous les phénomènes se manifestant dans la vie individuelle, on nomme sagesse le mouvement non duel en résultant. Dans le non-éveil, c'est-à-dire lors de la progression sur la voie y conduisant, le fait de " posséder, réciter et enseigner " équivaut donc à la " purification du corps " et par là-même de l'esprit. De fait, sous l'angle des troubles personnels, l'ouverture à d'autres formes, et le partage de leur réalité, influe nécessairement sur les qualités particulières de ce que l'on perçoit en termes de temps et d'espace, éclairant ainsi les troubles eux-mêmes. En conséquence, seul le partage des formes peut être qualifié d'adéquation avec la réalité, et l'expression " dans la vie " disqualifie, d'évidence, le seul aspect mental.

Dès lors, " la pureté ", qui est acte, correspond à la participation physique et mentale de l'inconcevable: les phénomènes. Dans la totale continuité de cette approche, Nichiren en exil sur l'île de Sado affirme: " Nichiren, seul, en ce monde, partage les troubles particuliers et généraux de tout ce qui est ". Pour cette raison, dans notre école " l'introspection du < coeur > signifie voir en soi les dix mondes ". Il apparait en cela que seul le partage effectif des formes sur le plan physique relève de l'application de la médianité originelle des dharma, et constitue le " seuil difficile à franchir " qui sépare l'Ainsi venu des êtres ordinaires.

Ce seuil distingue également les points de vue spiritualistes, inappropriés au partage de la forme et entraînant naissances et morts dans les souffrances, et l'acte médian non duel parfaitement ajusté à son objet. Appréciés à travers cette lecture, certains passages des sûtra provisoires trouvent alors leur sens: " Le bodhisattva sait que tous les dharma reposent éternellement sur un pouvoir édificateur sans arrivée ni départ ". (84) Or, l'observable étant constitué d'états ou de mondes structurant la forme provisoire, appelés ici " pouvoir édificateur " ou efficience momentanée, ils sont impénétrables dans la mesure ou l'observateur est lui-même un composé forme/pensée causal exprimant un vouloir voir sélectif. De fait, ce " pouvoir édificateur " étant " éternellement sans arrivée ni départ ", il en ressort que seul l'observateur, de par son positionnement anthropocentrique, " voit " des arrivées et des départs, les phénomènes, eux, ne sont que constante efficience momentanée sans origine. De la même manière, inversement, des roses pourraient probablement discourir, avec pour preuve à l'appui la perception, sur la non-altération et l'éternité de leur jardinier.

En réalité, le fait perceptif déforme le perçu et le refaçonne constamment afin de créer un monde de représentations caractérisant uniquement l'état de l'observateur. Pour cette raison il n'y a jamais d' objectivité du percept, si ce n'est lorsque l'être est acausal, c'est-à-dire non producteur de son prisme. Sinon, il ne peut-être de réelle adéquation entre la sagesse et la réalité. C'est ce qu'évoquait Shakyamuni par l'expression " existant par lui-même ". Cette expression nomme un des trois Corps du Bouddha: le " Corps de rétribution de l'Ainsi venu qui par lui-même reçoit et emploie " (Jijuyu hoshin nyorai).

Ce Corps est celui de la sagesse sans égal, sans supérieur de la boddhéité. La lecture effectuée par l'école Tiantai, quant à la sagesse de l'Ainsi venu, est la suivante: Selon le Grand Maître Zhiyi, le mot " merveille " (myo), dans le concept de " Merveille de la Cause Originelle ", se réfère aux quatre merveilles que sont: la merveille du lieu, la merveille de la sagesse, la merveille des actions et la merveille du degré.

- La merveille du lieu correspond au principe véritable: l'environnement de la sagesse, c'est-à-dire l'Objet de l'éveil, le Corps de la Loi. Pour l'être ordinaire, cela indique le profil particulier des objets construisant le lieu de son fonctionnement. Nous appelons alors " sagesse " l'interaction qualitativement relative, dans les neuf mondes, de la continuité du fait perceptif et des objets afférents.

- La merveille de la sagesse est la sagesse qui s'unit d'une manière non duelle au lieu, c'est-à-dire à l'Objet. Il s'agit là du " Corps de rétribution de l'Ainsi venu qui par lui-même reçoit et emploie ". Pour l'être ordinaire, le lieu étant toujours antérieur à la forme/pensée momentanée, la sagesse fonctionnelle est obscurcie par sa propre production d'espace et de temps, du Moi et du reste, " de pensée de série et de liens de parenté ".

- La merveille des actions nomme, dans l'éveil, l'exercice de la sagesse et concerne les actes " inconcevables " du Bouddha. Pour l'être ordinaire, identiquement, il s'agit de l'empreinte personnelle laissée par les actes de la pensée, de la parole et du corps, mais là, dans les neuf premiers états.

- La merveille du degré est la qualité intrinsèque ou l'état ressenti.

Dans l'éveil, l'adéquation de la sagesse et de l'objet étant fusionnante, l'état est nommé " qui par lui-même reçoit et emploie ". Pour l'être ordinaire, du fait de la totale indissociabilité entre les actes de la pensée, de la parole et du corps, et son état de vie, ses actes sont à envisager tant sous l'angle de l'effet, lorsqu'ils sont expression de l'état qu'ils perpétuent indéfiniment en tant que cause, que sous l'angle de la cause d'un état hors la série personnelle, lors de sa progression dans la voie bouddhique.

" Le Corps de rétribution qui, par lui-même, reçoit et emploie " désigne la sagesse en adéquation avec l'objet, c'est- à-dire le lieu. On appelle " Corps de rétribution qui spontanément reçoit et emploie ", la qualité de vie du corps de celui qui, en lui-même, goûte et atteste la joie de la Loi. En outre, ce même corps de rétribution, dans son fonctionnement, est le corps du bouddha qui apporte à autrui les bienfaits et la joie de la Loi. Il en résulte que ressentir la joie de la Loi en son corps, ne peut ne pas se traduire par une action libre et féconde vis à vis d'autrui et, par extension, une conscience tant soit peu développée de la Loi se constate forcément dans le partage en résultant.

Le qualificatif de " Nyorai ", pour le bouddha, se traduit par " Ainsi venu ". Cela signifie celui qui " est arrivé à cela ": le Corps de la Loi ou le monde de la vérité. Ce qualificatif signifie également celui qui " arrive de cela ": l'expression du Corps de la Loi par la sagesse. Dès lors, pour l'Ainsi venu, l'instant de l'efficience est acausal puisque non dépendant de l'antériorité du " coeur ", et joie de la Loi dans la mesure où chaque instant l'en voit naître. L'instant est également acte de sagesse et de bienveillance puisque, la totalité des dharma n'étant pas duelle avec son propre corps, sa perception n'est pas entravée. Là se situe, dans l'éveil, l'adéquation sagesse / réalité.

Dans la même optique, Dengyo nous précise que la théorie de " Une pensée trois mille ", sous l'angle de la cause et de l'effet de l'éveil, équivaut (soku) au mouvement du " Corps de rétribution qui par lui-même reçoit et emploie ". Concernant l'accès à l'éveil et la sagesse en résultant, il est écrit, dans le courant du Tiantai : " La sagesse est ce qui apparait lorsque l'Objet est parfait. L'Objet étant merveilleux, la sagesse qui en découle l'est également...Dans le Sûtra il est dit <la sagesse que j'ai obtenue est la plus subtile> ". (85) D'entrée, il en ressort que l'Objet, les objets, sont expression d'une réalité difficilement niable, qui plus est partageable, et dont nous ressentons forcément l'influence, même dans le non-partage. Là, se positionne la vérité de la voie médiane.

Cela étant, il ressort de la dernière phrase que la sagesse de Shakyamuni découle, en fait, de sa relation à l'objet merveilleux appelé " Corps de la Loi ". Nous avons remarqué, déjà, que la " sagesse " ordinaire humaine relève également de son rapport plus ou moins réussi aux objets physiques et mentaux la caractérisant. Or, à chaque instant, le mouvement individuel en termes d'actes de la pensée, de la parole et physiques, exprime continûment la marque en creux de son rapport antérieur aux objets l'ayant mis en forme depuis " l'origine ". En d'autres termes, le corps, l'esprit et le mouvement phénoménal d'une existence sont les marques actuelles " possibles " , en terme d'économie, de sa relation aux multiples phénomènes. Les objets, présents/absents, réels/irréels, de la relation étant infinis, la sagesse potentielle l'est également. De fait, les troubles usuels des êtres ne pouvant s'exprimer que vis-à-vis d'objets, et, ces objets étant l'aspect réel, la sagesse, inversement, est la mesure de ceux-ci.

De la même manière, concernant l'éveil de Shakyamuni, la sagesse résultant de l'adéquation à l'Objet apparait totalement dans l'enseignement théorique du Sûtra du Lotus et, réciproquement, le Corps de la Loi transparaît physiquement dans l'agencement de la cérémonie, lors de l'apparition, le maintien et la disparition du Stupa précieux*. Cette sagesse, ou " Corps de rétribution qui reçoit et emploie ", est décrite par Shakyamuni, dans le Sûtra du Lotus, comme étant infinie.

Vis-à-vis de ce point, l'actuel Souverain de la Loi Nikken Shonin nous précise: " L'objet de cette durée de la vie de la sagesse, réside dans le principe véritable et absolu, dont la corporéité est < le Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet >, autrement dit Myoho Renge Kyo. C'est également la corporéité de l'Objet fondamental de vénération de la doctrine essentielle ". (86) " La corporéité ", ou essence, est le " Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet " des dix états dans l'éveil " autrement dit Myoho Renge Kyo ". L'aspect spirituel, ou sagesse, est Myoho Renge Kyo, alors que son corps est l'Objet fondamental. Cette simultanéité de la cause et de son effet depuis " l'origine " s'exprime, comme pour les neuf autres états, dans la non dualité de l'esprit et de la matière. En outre, l'adéquation totale de la sagesse et de son objet, autrement dit de la Personne et de la Loi, permet au facteur, ou à la Personne, non seulement de ne pas faire écran à la cause, mais fait que celle-ci, simultanément, soit l'effet identique. Pour cette raison, selon notre approche, les " trois Corps du Bouddha " sont éternels.

Dans l'extrait cité plus haut sont définis deux des trois Corps du Bouddha de la Doctrine essentielle, à savoir: le Corps de la Loi ou l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur et le Corps de rétribution, ou sagesse de l'Ainsi venu : Nam Myoho Renge Kyo. D'autre part, concernant l'objet déterminant l'action de l'Ainsi venu, nous lisons: " Kyo indique la réalité objective ou la réalité de la nature de bouddha inhérente à la vie de chacun, tandis que Chi désigne la sagesse subjective qui permet de réaliser cette vérité ". (87)

Outre le principe de l'accès à l'éveil de toutes les formes, là est définie la volonté sous-jacente, aux cinquante années d'enseignement de Shakyamuni, ainsi qu'aux efforts accomplis par toutes les personnes éveillées en Inde, en Chine et au Japon. Dans la majorité des cas, seule la sagesse fut exprimée en tant que modèle de la Voie. Développée par les éveillés, elle résulte, comme effet consécutif, de leur rapport à l'Objet, alors que pour les êtres s'engageant dans la Voie elle apparaît en tant que cause de leur progression personnelle. Dans le cas unique de Nichiren, par contre, l'Objet et sa sagesse non-duelle apparaissent dans la forme, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet. Ainsi Nichiren précisa : " Cet Objet fondamental n'est en rien une création de Nichiren ". Au-delà de ce point, cette phrase est indicative du partage, par l'éveillé, de tous les corps, de toutes les formes, qui apparaissent dès lors comme étant le Corps de la Loi. Enfin c'est explicite de l'action menée vis à vis des êtres par l'Ainsi venu, et donc de la possibilité offerte au " simple mortel " de s'identifier avec l'objectalisation du Corps de la Loi.

Pour affiner encore l'objectif résumant " l'apparition " des Ainsi venu, le grand sage Nichiren indique: " L'esprit représente l'aspect spirituel et la voix l'aspect physique. L'aspect spirituel se manifeste par l'aspect physique. Le physique et le spirituel, essentiellement un, se manifestent sous ces deux aspects distincts. Ainsi l'esprit du bouddha se manifeste sous la forme physique des caractères du Sûtra du Lotus. Ces caractères qui forment les mots du Sûtra du Lotus sont le coeur du bouddha sous une autre forme ". (88)

Dès lors, la totale adéquation sagesse/aspect réel caractérisant l'Ainsi venu est indicative du fait que ses pensées, ses propos et ses actes sont l'éveil. Inversement, nos représentations et actes sont l'éternelle matrice d'où naissent nos états les plus divers. De la même manière que nos pensées, paroles et actes signalent, dans la forme qu'ils élaborent, la qualité des états de vie que nous traversons, l'Ainsi venu par ses pensées, paroles et actes imprime la forme de l'éveil dans son corps, ainsi que dans son environnement minéral, végétal, animal et humain. En d'autres termes, sur un plan général, chaque instant d'existence d'un être marque son corps, les objets environnants et le mouvement des circonstances de la forme de son état intrinsèque. Notre corps, notre esprit et notre réalité événementielle sont donc notre " produit " et celui-ci se cristallise jusqu'au dernier instant de l'existence. Or, en réalité, il n'y a pas de dernier instant, ou, si l'on préfère, le dernier est la cause du suivant, et celui-ci se trouve être somptueusement simultané.

A la réflexion, la difficulté, pour l'être humain, de considérer que les dharma expriment par leur forme un état de vie est, d'une part, proportionnelle à son ignorance quant à la production ou à l'agencement qu'il en fait puisque l'acte informe; d'autre part, explicite de son attachement à la magique efficacité de rites quelconques n'impliquant aucune responsabilité personnelle, quant à la causalité de sa réalité intrinsèque et environnementale. Cela étant, le rapport au corps, aux corps, est de fait ordinairement inexistant, et la ressource ultime du fait humain ne peut-être, hors la pratique de la Voie, que celle du travail de l'esprit recouvrant les phénomènes réels de projections telles le désir, la haine, l'attachement, la perte,le dédain,...